Chronotruck, Everoad, Fretlink : fin du boycott dans le transport routier

Chronotruck, Everoad, Fretlink : fin du boycott dans le transport routier

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“Les innovateurs sont presque toujours des persécutés ; en religion, ce sont des hérétiques ; en philosophie, des crânes fêlés ; en science, des gens qui parlent au diable ; en politique, généralement des imbéciles, parfois des idoles.” Et en commerce, ce sont des personnes à boycotter, si nous suivons la logique d’Ernest OUELLET, célèbre politicien québécois ou plutôt celle des bourses de fret de transport. 


Dans le secteur du transport routier de marchandises comme dans de nombreux autres secteurs, la crise sanitaire a amplifié le phénomène de développement des plateformes numériques d’intermédiation via la montée en puissance de Chronotruck, Everoad ou encore Fretlink ! 


Avec un système de mise en relation directe entre les clients chargeurs et les transporteurs par le biais d’une méthode de géolocalisation immédiate ou de traçabilité, elles apportent ce vent d’innovation mais surtout d’efficacité dans un milieu relativement classique. 


Mais là où l’innovation s’installe, il y a toujours des mouvements hostiles incarnés en partie par les actuels dans le secteur du marché concerné qui voient d’un moyen œil l’arrivée des nouveautés. 


La décision du 9 septembre 2021 de l’Autorité de la concurrence (ADLC Décision n° 21-D-21 du 9 septembre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport routier de marchandises) illustre parfaitement cette mentalité française hostile à l’innovation.

Qu’est-ce que l’Autorité de la concurrence ?

Avant de rentrer dans les détails de cette affaire, il convient de rappeler que l’autorité de la concurrence est une autorité administrative indépendante qui a pour mission de veiller au bon fonctionnement concurrentiel des marchés par le biais de contrôle, avis, recommandations voire injonction et sanction. 


La tâche est rude tant le marché est vaste (émancipation des frontières) et les activités diverses (matérielles ou immatérielles). 


C’est pourquoi, en matière de pratique anticoncurrentielle, le droit de l’Union ainsi que le droit national agissent de concert pour toucher tous types de comportements susceptibles d’être qualifiés d’anti-concurrentiels. 


C’est aujourd’hui, sous sa casquette d’instance sanctionnatrice que nous retrouvons l’Autorité de la concurrence pour des faits dénoncés par Monsieur Bruno LE MAIRE, Ministre de l’économie et des finances par lettre du 9 août 2017.

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Dans un raisonnement analogue, l’absence d’un demandeur d’asile à l’audience a été considérée comme justifiée « compte tenu de la pandémie du Covid-19 en cours et des mesures de confinement prises par l’autorité publique, alors que le département du Haut-Rhin constitue un foyer majeur de l’épidémie, les circonstances caractérisant un cas de force majeure » (CA Colmar, 6ème chambre, 23 Mars 2020, n°20/01206 et n°20/01207).

Qu’est-ce qu’une entente en droit de la concurrence ?

L’infraction visée par le Ministre se fonde sur les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et les articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui viennent sanctionner les ententes. 


Il s’agit d’une pratique par laquelle des opérateurs vont être à l'origine d'une collusion au détriment d'un tiers (concurrents, clients ou consommateurs). 


Les articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce mentionnent trois formes d'ententes, conduisant à une perte d'autonomie des opérateurs économiques : les décisions d'association, les accords entre entreprises et les pratiques concertées.


L'éventail des formes d'ententes est donc large, les décisions pouvant prendre différentes formes (associations sans but lucratif, associations de fait, organisations professionnelles, groupements d'intérêt économique, pratiques directes ou indirectes...). 


En tout état de cause, ce qui est déterminant demeure l’existence d’une coordination entre les opérateurs, coordination qui doit avoir pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur. À ce titre, il suffit de rapporter la preuve par des indices graves, précis et concordants attestant d'un contact entre les opérateurs (mail, déjeuners, téléphone) pour que le comportement soit considéré comme concerté. 


Dans ces conditions, Monsieur Le Ministre voyant un comportement suspect entre différentes sociétés et groupement du domaine du transport routier a dénoncé à l’Autorité de la concurrence, l’existence d’un comportement susceptible de caractériser une entente.

Le secteur du transport routier des marchandises

Il faut entendre par secteur routier des marchandises, l’acheminement par la route, de produits de diverses natures (biens, produits, matériaux etc..) et sous différentes formes (lot, solide, liquide, température digérée, etc.). 


Ce secteur recouvre un ensemble d’activités très variées qui fait intervenir de nombreux acteurs souvent regroupés en groupe à l’effet de pouvoir faire face à toutes les types de demandes.


Outre la technique des groupes, le recours aux intermédiaires et à la sous-traitance pour faire face aux demandes est monnaie courante en matière de transport. 


Le secteur routier c’est alors organisé de la façon suivante : 


✔ Les commissaires de transport


Comme leur nom l’indique, ils organisent et font exécuter, sous leur responsabilité et en leur propre nom, un transport de marchandises et pour le compte de leur client. Le commissaire s’engage donc à acheminer la marchandise de bout en bout. Il peut généralement faire appel à plusieurs transporteurs pour mener à bien sa mission.


✔ Les bourses de fret 


Elles s’analysent en des interfaces ou plateformes bifaces de mise en relation entre les chargeurs et/ou les commissaires de transport avec des transporteurs via des places de marché en ligne. 


Elles permettent alors aux transporteurs de devenir les sous-traitants des commissaires de transport, en se cantonnant à un simple rôle d’intermédiaire dans le circuit de transport sans intervenir dans la formation du prix. 

Les transporteurs sont souvent des entreprises de petite taille qui grâce à ce système ont la possibilité de s’en sortir économiquement. 


Elles ont connu un essor considérable en 2017 où 10 à 15% du flux de transport de marchandises en France passaient par ce système. 


✔ Les plateformes numériques d’intermédiation 


Véritables plateformes numériques de mise en relation directe entre les clients chargeurs et les transporteurs via la géolocalisation immédiate. 


Dans ce cas de figure, il n’y a pas de commissaire de transport qui intervient, le chargeur donne ordre à la plateforme de lui trouver un transporteur selon les critères indiqués, les transporteurs inscrits sur la plateforme peuvent alors répondre à la demande, un algorithme les rapprochant spontanément. 


Dans ces conditions, il n’y a plus de sous-traitance mais une relation contractuelle directe entre le chargeur et le transporteur. 


La volonté serait alors que ces plateformes deviennent de véritables commissaires de transport digital, plus adapté au secteur. 



A la présentation des offres de services dans le domaine du transport, il en ressort l’étroitesse entre les bourses de fret et les plateformes numériques d’intermédiation, ces derniers venant directement concurrencer les premières. 


Or, face à ce mouvement d’essor des plateformes numériques d’intermédiation, certaines sociétés, groupements ou bourses de fret ont senti le vent tourner et ont alors décidé, à compter du mois de juillet 2016, de mettre en œuvre une stratégie commune visant à limiter le développement des nouveaux acteurs.

L’appel au boycott des bourses de fret, groupements et syndicats

Les services de l’instruction de l'Autorité, informés par le ministre, ont mené leur enquête en se rendant sur place.  


Ils ont alors découverts la mise en place d’une stratégie commune, décidée par les sociétés H2P et B2PWeb (bourses de fret), par les groupements Evolutrans, Astre, Flo, Tred Union et ASTR, ainsi que par le syndicat UNOSTRA et, plus tardivement par l’OTRE, notamment lors de conseils de gouvernance de H2P pour limiter les actions des intermédiaires. 


Par la suite, chacun des groupements et syndicats professionnels ont transmis à leurs adhérents respectifs les consignes décidées entre les membres du conseil de gouvernance de H2P de ne pas collaborer avec les plateformes numériques d’intermédiation et les logiciels de traçabilité, de même que plusieurs notes rédigées par le président de H2P allant dans le même sens. 

Des publications en ce sens ont également eu lieu sur les sites internet ou intranet respectifs de ces groupements et syndicats ainsi que sur le site de la bourse de fret B2PWeb accessible à ses 10 000 membres.

Pour justifier leur souhait, ils pointaient les dangers résultant de l’utilisation de ces plateformes et logiciels pour la profession. 

Par exemple, il était possible de lire comme affirmations : « LA SEULE SOLUTION : NE PAS COLLABORER AVEC CES PLATEFORMES : SANS CAMION ELLES NE PEUVENT RIEN PROPOSER AUX CLIENTS ». Le groupement Tred Union est même allé jusqu’à diffuser une liste des plateformes avec lesquelles ses adhérents avaient interdiction de travailler.

L’objectif des pratiques constatées a été facilement identifiable : empêcher le développement de nouveaux acteurs du numérique dans le transport routier de marchandises. 

En outre, les différentes mesures prises par les participants aux pratiques s’articulaient entre elles et se renforçaient l’une et l’autre, en multipliant les canaux de diffusion.

Les pratiques ainsi décrites s’analysent comme des actions de boycott ou d’appels au boycott dirigées contre les plateformes numériques d’intermédiation et le logiciel de traçabilité Shippeo, destinées à entraver leur développement dans le secteur du transport routier de marchandises. 

Elles constituent, par leur objet même, des infractions au droit de la concurrence (articles 101, paragraphe 1, du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce). 

Il était donc difficile de constater une absence d’entente tant les faits sont grossiers. 

Dans ces conditions, les entreprises concernées ont été destinataires des griefs à leur encontre, à savoir : une entente unique, complexe et continue dans le secteur routier de marchandises.

La condamnation forte des bourses de fret, groupements et syndicats

Les pratiques de boycott et d’appels au boycott issues de l’infraction unique, complexe et continue d’entente revêtent une gravité particulière, d’autant plus qu’elles concernent un secteur en pleine évolution structurelle et visent à limiter la concurrence et l’innovation.

En effet, les pratiques décrites ont eu pour conséquence de limiter les gains d’efficacité associés au développement des plateformes numériques d’intermédiation et logiciels de traçabilité, qu’il s’agisse d’une plus grande mise en concurrence des transporteurs, des taux de commission inférieurs perçus par ces plateformes ou de la réduction des retours à vide des transporteurs, source de coûts logistiques mais aussi environnementaux.

L’importance de ce dommage causé à l’économie est cependant à relativiser car les nouveaux acteurs du numérique du secteur du transport routier de marchandises ont connu une croissance marquée pendant la période concernée, et ce malgré l’entente constatée. 

Pour autant le constat est sans appel, l’Autorité de la concurrence a décidé d’infliger les sanctions pécuniaires suivantes, selon l’importance des rôles de chacun :

  • à la société Bourse Premium Professionnel solidairement avec la société Holding Premium Professionnel, une sanction de 350 000 euros ;
  • à la société Evolutrans, une sanction de 27 000 euros ;
  • à la société Association des transporteurs européens, une sanction de 50 000 euros ;
  • à l’association France Lots Organisation, une sanction de 25 000 euros ;
  • à la société Tred Union, une sanction de 28 000 euros ;
  • à la société Groupement d’Achats et de Services des Transports Routiers, une sanction de 9 000 euros ;
  • au syndicat Union Nationale des Organisations Syndicales des Transporteurs Routiers Automobiles, une sanction de 1 000 euros ; 
  • au syndicat Organisation des Transporteurs Routiers Européens, une sanction de 10 000 euros.

Il faut ainsi souligner que l’Autorité de la concurrence préserve le développement des innovations en sanctionnant les comportements souhaitant anéantir leur essor. 

Alors plutôt que de boycotter les innovations, il faudrait mieux s’en saisir pour tirer son épingle du jeu !

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