L’entreprise Google, en favorisant ses propres services dans le secteur des serveurs publicitaires pour éditeurs de sites en ligne et applications mobiles, a commis un abus de position dominante, c’est ce qui a été retenu par l’Autorité de la Concurrence qui lui a infligé une amende à hauteur de 220 millions d'euros dans une Décision du 7 juin 2021 (Aut. conc. 21-D-11, 07 juin. 2021).
Les abus de position dominante sont des pratiques qui consistent, pour une entreprise ou un groupe d’entreprises, à user de manière abusive de leur position de force sur un marché afin d’évincer les concurrents présents, ou encore, de dissuader ou d’empêcher l'arrivée de nouveaux concurrents sur le marché en cause. Ces pratiques entraînent alors un verrouillage du marché et portent atteinte au libre jeu de la concurrence.
C’est pourquoi, les abus de position dominante sont sanctionnés par l'article L.420-2 alinéa premier du Code de commerce en droit français, mais également par l’article 102 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne en droit communautaire de la concurrence.
L’Autorité de la Concurrence inflige alors des amendes ou des injonctions de faire ou de ne pas faire à l’encontre des entreprises qui usent de ces pratiques.
Ces mesures poursuivent l’objectif de sanctionner mais surtout de dissuader les autres entreprises ou organismes de recourir à de telles pratiques d’abus de position dominante.
Dans les faits, les éditeurs de presse News Corp, Rossel et Le Figaro ont saisi l’Autorité de la Concurrence pour dénoncer Google du fait d’avoir abusé de sa position dominante sur le marché des serveurs publicitaires pour éditeurs de sites web et d’applications mobiles.
L'instruction menée particulièrement rapidement par l’Autorité de la Concurrence, a permis de révéler que Google avait accordé un traitement préférentiel à ses technologies propriétaires proposées sous la marque Google Ad Manager, à la fois en ce qui concerne le fonctionnement du serveur publicitaire DFP (qui permet aux éditeurs de sites et applications de vendre leurs espaces publicitaires), et de sa plateforme de mise en vente SSP AdX (qui organise les processus d’enchères permettant aux éditeurs de vendre leurs « impressions » ou inventaires publicitaires aux annonceurs) au détriment de ses concurrents et des éditeurs.
L’entreprise Google avait en effet procédé à l’élaboration de pratiques visant, d’une part, à ce que son serveur publicitaire DFP avantage sa plateforme de mise en vente d’espaces publicitaires (SSP AdX), et d’autre part, de la même manière, à ce que sa plateforme SSP AdX favorise son serveur publicitaire DFP.
Par ces pratiques, Google prenait abusivement appui sur sa position dominante considérable sur les serveurs publicitaires pour sites et applications et l’Autorité de la Concurrence a expressément rappelé que :
« Il incombe à une entreprise en position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par un comportement étranger à la concurrence par les mérites, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur. Un système de concurrence non faussée ne peut être garanti que si l’égalité des chances entre les différents opérateurs économiques est assurée. »
Les pratiques en cause exercées par l’entreprise Google sont particulièrement graves car elles ont pénalisé les concurrents de cette dernière sur le marché émergent de la publicité en ligne et ont permis à Google non seulement de préserver mais aussi d’accroître sa position dominante.
Dans le contexte actuel de dématérialisation, les éditeurs de presse étant à l’origine de la saisie de l’Autorité de la Concurrence, ont été affectés alors même que leur modèle économique est déjà fortement fragilisé par la diminution des ventes de journaux et magazines et par conséquent par la baisse des revenus publicitaires qui y sont associés.
En ne contestant pas les faits d’exercices abusifs de sa position dominante qui lui étaient reprochés, Google a souhaité bénéficier de la procédure de transaction avec l'Autorité de la Concurrence, qui a fait droit à sa demande.
Une entreprise ou un organisme qui est mis en cause dans une affaire devant l’Autorité de la Concurrence peut recourir au bénéfice de la procédure de transaction afin d’anticiper, de faciliter et d'accélérer la conclusion de la procédure par rapport à celle de droit commun. Il s’agit alors pour l’entreprise ou l'organisme mis en cause de ne pas contester les griefs qui lui sont reprochés dans le but de s’assurer une prévisibilité sur leur risque financier (la transaction fixe le montant maximal et minimal de la sanction encourue) et de faire valoir son comportement de bonne foi tenant à s'engager rapidement dans la voie d’une mise en conformité des pratiques reprochées avec le droit de la concurrence.
Cette procédure accélérée possède également l’avantage de permettre à l’entreprise ou à l'organisme mis en cause d’économiser des coûts procéduraux comme il peut être le cas dans le cadre des moyens consacrés à des recours contentieux.
La procédure de transaction a obtenu beaucoup de succès ces dernières années, elle a notamment été mise en œuvre dans l'affaire du cartel des linos (Aut. conc. 17-D-20, 18 oct. 2017), dans le dossier Engie (Aut. conc. 17-D-06, 21 mars. 2017), ou encore dans une affaire sanctionnant des accords exclusifs d'importation en Outre-mer (Aut. conc. 16-D-15, 06 juill. 2016).
En ce qui concerne l’affaire commentée, l’entreprise Google a proposé des engagements visant à améliorer l’interopérabilité des services Google Ad Manager avec les solutions concurrentes de serveur publicitaire et de plateforme de mise en vente d’espaces publicitaires. Google s’est également engagé à mettre un terme aux dispositions qui favorisaient ses services.
L’Autorité de la Concurrence a accepté ces engagements et les a rendus obligatoires dans sa décision. Le montant de la sanction pécuniaire a été fixé à 220 millions d'euros.
Par cette décision, l’Autorité de la Concurrence a sanctionné pour la première fois dans le monde l’abus de positions dominante dans le cadre des processus algorithmiques complexes d’enchères par lesquels fonctionne la publicité en ligne « display ».
Isabelle de Silva, présidente de l’Autorité de la concurrence a déclaré à l’occasion de cette décision que : « Cette sanction et ces engagements permettront de rétablir un terrain de jeu équitable pour tous les acteurs, et la capacité des éditeurs à valoriser au mieux leurs espaces publicitaires. »
À savoir :
L’Autorité de la Concurrence avait déjà été sanctionné l’entreprise Google en 2019 pour abus de sa position dominante sur le marché de la publicité liée aux recherches, en adoptant des règles de fonctionnement de sa plateforme publicitaire Google Ads opaques et difficilement compréhensibles et en les appliquant de manière inéquitable et aléatoire.
L’Autorité de la Concurrence, dans une décision du 19 décembre 2019, avait infligé à l’entreprise Google une sanction pécuniaire de 150 millions d'euros, et enjoint à cette dernière de clarifier la rédaction des règles de fonctionnement de Google Ads, ainsi que la procédure de suspension des comptes. (Aut. conc. 19-D-26, 19 déc. 2019)