Depuis le 7 avril 2022, l’espace de déclaration en ligne des revenus perçus en 2021 s’est ouvert. Hormis la déclaration des comptes d’actifs numériques ouverts, utilisés ou clos dans un exchange (plateforme d’échanges de cryptomonnaies) étranger et la déclaration des plus-values d’actifs numériques (dans certains cas), il faut s’interroger sur le régime juridique applicable aux jetons non fongibles (NFT). De cette analyse, nous pourrons en déduire les conséquences fiscales.
Ménageons le suspens dès ces premières lignes : à ce jour il n’existe aucune définition, ni même aucun texte légal (loi, ordonnance, décret ou un projet de texte) qui évoque les NFT en droit français. De ce fait, il est bien difficile d’appliquer avec certitude un régime de qualification juridique aux jetons non fongibles.
Or, le droit à horreur du vide car cela a pour conséquence de créer de l’incertitude juridique. Ainsi, actuellement les NFT existent bel et bien en dehors de tout encadrement juridique. Cette existence en dehors de tout cadre juridique est préjudiciable tant pour les créateurs, les détenteurs mais aussi pour l’Administration fiscale qui a bien du mal à traiter les NFT.
A défaut d’une qualification juridique des NFT consacrée par la loi, plusieurs hypothèses peuvent être faites. Nous allons aborder une à une ces hypothèses, de la moins probable à la plus pertinente.
La qualification des NFT en tant qu'œuvres d’art est particulièrement séduisante et elle est soutenue par un bon nombre de personnes impliquées dans le marché des jetons non fongibles. Cela se comprend aisément compte tenu du régime fiscal très avantageux qui est attaché aux œuvres d’art. Toutefois, nous allons voir qu’elle ne correspond pas à la réalité des NFT qui ne peuvent pas être qualifiés d'œuvres d’art au sens juridique et fiscal du terme.
Cette qualification est séduisante car beaucoup de NFT sont effectivement le fruit d’un travail qui peut incontestablement être qualifié d’artistique. Cependant, d’un point de vue juridique, les NFT ne sont pas énoncés dans la liste des œuvres d'art au sens de l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI). Cet article donne une liste exhaustive de 14 éléments qui peuvent être qualifiés d'œuvres d’art. Pour n’en citer que quelques uns, peuvent être qualifiées d’oeuvres d’art :
En raison du caractère exhaustif de cet article, les NFT ne peuvent pas être des œuvres de l’esprit au sens du CPI.
Par ailleurs, du point du vue du droit fiscal les NFT ne peuvent pas non plus être qualifiés d'œuvre d’art. En effet, l’article 98 A de l’annexe 3 du CGI définit les œuvres d’art bénéficiant du régime fiscal homonyme. On y trouve notamment les “tableaux, collages et tableautins similaires, peintures et dessins, entièrement exécutés à la main par l’artiste (...)”.
Dans le langage courant, on peut aisément considérer que les NFT répondent à la définition de dessins. Cependant, il précise qu’ils doivent être exécutés “à la main de l’artiste” et c’est ici que les choses bloquent. Le droit fiscal est un droit neutre et non sujet à interprétation. Selon la doctrine fiscale, ce critère manuscrit exclut “l’emploi de tout procédé, quel qu’il soit, permettant de suppléer, en tout ou partie, à cette intervention humaine” (BOI-TVA-SECT-90-10, II-A). Ainsi, il faut considérer que l’usage d’une souris (nécessaire à la création d’un NFT) exclut de facto la qualification fiscale d'œuvre d’art pour les NFT.
Voyons maintenant, si les NFT peuvent être qualifiés d’actifs numériques au sens du droit positif.
La première qualification qui serait tentante est celle d’actif numérique. L’article L.54-10-1 du Code monétaire et financier (CMF) définit ce qui doit être considéré comme un actif numérique :
1° - Les jetons mentionnés à l’article L. 552-2 du CMF
2° - “Toute représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n’est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d’une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d’échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement.” Autrement dit, ce sont les cryptomonnaies.
Les NFT ne peuvent pas correspondre à cette catégorie (2°), car ils ne sont pas assimilables aux cryptomonnaies en raison de leur caractère non fongible.
Dès lors, il convient d’analyser si les NFT peuvent entrer dans la 1ère catégorie, et donc s’ils peuvent être assimilés à des jetons au sens de l’article L.552–2 du CMF. Cet article dispose que doit être considéré comme un jeton : “Tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits pouvant être émis, inscrits, conservés ou transférés au moyen d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant d’identifier, directement ou indirectement, le propriétaire dudit bien.”
Vérifions que ces différentes caractéristiques puissent être applicables aux NFT :
Une autre justification qui incite à ne pas qualifier les NFT d’actifs numériques, tient à la volonté du législateur. En effet, d’après les travaux préparatoires de l’article 26 de la loi PACTE de 2019, l’objectif de l’article L. 552-1 du CMF était de définir les jetons afin d’encadrer les offres de jetons au public (ICO). Ainsi, il semble que selon la volonté du législateur, la notion de jeton dans cet article ne prend pas en compte les NFT.
Dès lors, pour ces raisons la qualification juridique des NFT en tant qu'actifs numériques demeure réellement incertaine.
Un certificat d’authenticité est un document permettant d’attester la paternité d’une œuvre. Dans le domaine de l’art, le certificat d’authenticité est délivré par l’auteur de l'œuvre, ou par un expert professionnel. En principe, il est délivré au format papier et il est donc falsifiable.
Ici réside tout l’intérêt des NFT, un certificat d’authenticité émis par un NFT sur une blockchain permet de garantir la paternité de l'œuvre et de son authenticité. Cette garantie est infalsifiable grâce aux caractéristiques de la blockchain : immutabilité et inviolabilité.
Le NFT est à la fois un titre de propriété et un certificat d’authenticité puisqu’il contient toutes les informations relatives à la certification d’une œuvre : nom de l'œuvre, nom de l’artiste, taille, support, caractéristiques, nombre de tirages… Il permet ainsi de se dispenser du certificat d’authenticité papier et apporte des garanties supplémentaires tout en se passant de l’expertise d’un expert.
Certaines marques se sont lancées dans le monde des NFT pour profiter de ces garanties. En outre, en plus du certificat d’authenticité les propriétaires bénéficient du même produit qu’ils ont acheté sous forme physique mais au format numérique grâce au NFT. Les NFT sont des certificats d’authenticité, mais pas que !
Par exemple, la célèbre marque de jeans Levi’s a lancé une nouvelle version de son produit iconique : le jean 501 Original. En achetant ce jean, le propriétaire pourra bénéficier d’un NFT représentant le jean en 3D, mais également d’un jean garanti à vie. Grâce au certificat d’authenticité numérique, le propriétaire pourra bénéficier d’une réparation de son jean en l'emmenant au Levi’s Store des Champs-Elysées. Bien évidemment, cette offre est limitée à 10 jeans NFT et sont distribués aléatoirement lors de l’achat d’un Levi’s 501. Les acheteurs découvrent s’ils font partis des chanceux en scannant le QR code imprimé sur l’étiquette du vêtement acheté.
De plus, Nike s’est lancé dans les NFT en rachetant une start-up spécialisée dans les baskets numériques dénommée RTFKT. Grâce à cet achat, Nike démontre sa volonté de se lancer dans les NFT et le métavers (c’est-à-dire les mondes virtuels).
Ainsi, les NFT sont notamment des certificats d’authenticité mais malheureusement sur le plan juridique et notamment s’agissant de leur régime fiscal, cette qualification apporte peu d’enseignements.
La qualification juridique de bien meuble incorporel semble actuellement être la plus adéquate pour qualifier les NFT.
D’ailleurs, le Conseil d’Etat dans une décision en date du 25 avril 2018 avait assimilé le Bitcoin (BTC) à un bien meuble incorporel. Cette décision était destinée à combler la législation lacunaire en la matière, la définition d’actifs numériques n’étant entrée en vigueur qu’en 2019 avec la loi PACTE. Le raisonnement du Conseil d’Etat s’est appuyé sur le caractère de mobilité du Bitcoin. Dès lors que le Bitcoin ne présente pas de caractère d’immobilité, il convient de le qualifier de bien meuble incorporel.
En suivant ce raisonnement, il est tout à fait juste d’admettre que les NFT sont des biens meubles incorporels. Ainsi, en qualifiant les NFT de biens meubles incorporels il convient de leur appliquer le régime fiscal des cessions de biens meubles prévu à l’article 150 UA du CGI. Nous verrons ci-dessous les incidences fiscales de l’application de ce régime.
D'abord, comme nous venons de le voir, les NFT ne peuvent pas bénéficier du régime fiscal applicable aux œuvres d’art.
Ensuite, nous avons déterminé que le NFT peut être considéré comme un certificat d’authenticité. Cependant, cette qualification juridique n’a strictement aucune conséquence fiscale. D’ailleurs, pour les œuvres d’art le certificat d’authenticité physique (papier) n’a aucune valeur aux yeux de l’administration fiscale. Elle exige la facture pour ouvrir droit au régime fiscal des œuvres d’art.
Il nous reste donc à analyser le régime fiscal des NFT selon qu’ils sont considérés comme des actifs numériques ou des biens meubles incorporels. Il faut dès lors s’intéresser à la fiscalité des NFT pour les investisseurs/collectionneurs, puis du côté de l’artiste.
Du côté des collectionneurs, la seule certitude est qu’ils ne peuvent pas bénéficier du taux d’imposition de 6,5 % applicable à l’achat d'œuvres d’art. Ensuite, les modalités d’imposition dépendent de la qualification juridique des NFT et elles demeurent donc incertaines. En effet, actuellement il est difficile d’affirmer avec certitude que les NFT sont des actifs juridiques ou des biens meubles incorporels.
Dans l’hypothèse où les NFT peuvent être qualifiés d’actifs numériques, leurs cessions relèveront du régime des plus-value sur actifs numériques. D’après ce régime fiscal, les échanges d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques ne sont pas considérés comme des faits générateurs d’impôt. Ainsi, l’achat ou la vente de NFT en cryptomonnaie ne génère pas d’imposition. Toutefois, si les NFT sont vendus ou achetés au moyen de monnaies ayant un cours légal (fiat) alors il conviendra d’appliquer le taux d’imposition applicable aux actifs numériques. Ce taux est celui de la flat tax qui est de 30 %.
En outre, la question de valorisation des NFT composant le portefeuille du collectionneur reste entière.
Ensuite, si l’on applique le régime fiscal applicable aux plus-values sur biens meubles c’est un taux de 36,2 % qui s’applique sur la plus-value. Par ailleurs, un abattement pour durée de détention peut s’appliquer. De plus, en application de ce régime seules les plus-values réalisées sur des ventes supérieures à 5 000 € sont imposables. Dès lors, si un collectionneur réalise une plus-value de 4 500 € sur un NFT qu’il a revendu 5 000 € alors il sera exonéré. Cette exonération s’apprécie par cession unitaire, elle peut donc très bien s’appliquer à plusieurs ventes.
En revanche dans ce cas, les NFT achetés ou vendus contre des cryptomonnaies pour un montant supérieur à 5 000 € seront susceptibles de générer une imposition.
En bref, ce manque de certitude en matière de fiscalité est indéniablement un frein important à l’explosion du marché des NFT en France.
Côté artistes, le régime fiscal semble plus clair. S’agissant de l’impôt sur les bénéfices, le produit des ventes est soumis aux bénéfices non commerciaux (BNC).
S’agissant de la TVA, dès lors que les NFT ne sont pas considérés comme des œuvres d’art alors l’artiste ne peut pas bénéficier du taux réduit de 5,5 %. A défaut, ces ventes sont assujetties à la TVA au taux de 20 %.
Toutefois, il semble qu’il puisse bénéficier du taux réduit de 10 % si les ventes porte sur un NFT qui remplit ces deux conditions cumulatives :
Face à toutes ces incertitudes, il est plus que souhaitable et véritablement urgent que le législateur se prononce sur le sujet des NFT.
Comme vous avez pu vous en apercevoir, il n’est pas simple de s’y retrouver sur les aspects juridiques relatifs aux NFT à cause du manque de certitude en la matière. Et pour y voir plus clair, il n’y a que l’intervention du législateur qui pourrait nettement améliorer la situation.
Cependant, celui-ci ne semble pas pressé de s’intéresser au sujet malgré les perches et les alertes lancées par certains députés.
A ce titre, il faut obligatoirement citer le député La République en Marche, Pierre PERSON, élu en 2017 qui peut être qualifié de crypto enthousiaste. D’ailleurs, c’est notamment grâce à ce député que le régime d’imposition des actifs numériques a pu voir le jour en 2019.
Lors des débats pour la loi de finances 2022, le député a notamment mis le sujet des NFT dans les petits papiers de l’Assemblée Nationale. Il a proposé un amendement au projet de loi de finances 2022, afin que les NFT soient enfin légalement définis et qu’ils obéissent à un régime fiscal particulier. Avec cet amendement, Pierre PERSON a proposé d’imposer le NFT selon son actif sous-jacent. Ainsi, il faudrait déterminer l’actif qui est à l’origine du NFT (œuvre, bien meuble, actif numérique, immeuble …) pour lui appliquer le régime juridique et fiscal correspondant à cet actif sous-jacent.
Cette proposition est très séduisante car elle dénote d’une réalité du NFT, et reste pragmatique (ce que le droit fiscal adore) ! Toutefois, elle pose aussi de nombreuses autres questions de catégorisation des actifs sous-jacents envisageables.
Ainsi, lors des débats à l’Assemblée Nationale, le député PERSON a déclaré retirer cet amendement car l’objectif premier “était d’initier une réflexion” dans l'hémicycle. Il a ajouté être conscient que le premier pas dans la législation des NFT ne pouvait pas être d’ordre fiscal, et qu’il convenait dans un premier temps de définir le NFT sous l’angle du droit commercial, et du droit des obligations. Enfin, il a rappelé à ses homologues l’urgence qu’il y avait de se pencher sur le sujet des NFT, au risque d’une perte de compétitivité importante. Pour bien le faire comprendre à l’Assemblée Nationale, il a fait le parallèle avec Internet, domaine dans lequel les Américains et les Chinois ont su se placer bien avant la France. Selon son avis, il est urgent et nécessaire d’avoir “une réflexion de fond sur la nature et l’encadrement juridique des NFT, qui seront essentiels dans le futur.”
Force est de constater l’ampleur que prend le domaine des NFT, et leur présence multidisciplinaire. L’on ne peut que rejoindre l’avis de Pierre PERSON, et espérons que le gouvernement Macron s’attaquera sérieusement au sujet dans ce second mandat. A défaut, il est certain que la France accumulera du retard qu’il sera quasiment impossible à rattraper.
A bientôt sur QiiRO pour un nouvel article sur les NFT !