Une enquête secrète sur des faits de harcèlement est un mode de preuve justifiant un licenciement pour faute, c’est ce qu’a retenu la chambre sociale dans un arrêt rendu le 17 mars 2021 (n°18-25.597).
Dans les faits, une salariée avait été mise à pied à titre conservatoire par lettre du 22 septembre 2014 et finalement licenciée pour faute grave le 13 octobre 2014.
Cette mesure découle d’une dénonciation des délégués du personnel auprès de l’employeur de faits de harcèlement qui auraient été perpétrés par la salariée en question. Ce harcèlement aurait notamment pris la forme d’insultes à caractère racial et discriminatoire, ce qui aurait engendré de graves perturbations organisationnelles au sein de l’entreprise.
A la suite de cela, un audit a été confié à une entreprise extérieure spécialisée en risques psycho-sociaux, ce qui a permis de confirmer la véracité des faits dénoncés.
La salariée a donc contesté son licenciement devant les juridictions.
La Cour d’appel de Paris s’est prononcée en faveur de cette dernière et a estimé que le licenciement prononcé était sans cause réelle et sérieuse, tout en lui allouant la somme de 30 000 euros d’indemnités. Pour rendre cette décision, les juges se sont basés sur l’article L1222-4 du Code du travail selon lequel “aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance.”
D’après eux, l’enquête qui avait été menée et sur laquelle s’est appuyée le licenciement de la salariée constituait un mode de preuve déloyal dans la mesure où cette dernière n’avait pas été informée de l’existence de cet audit.
La nécessité pour les salariés d’être informés des dispositifs de surveillance n’est pourtant pas nouvelle.
En effet, en droit du travail, la preuve se doit d’être loyale. A ce titre, la mise en place d’un dispositif de surveillance du salarié est soumise à un principe de transparence, impliquant l’information du ou des salariés concernés mais également du comité social et économique. Si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en œuvre un dispositif de contrôle clandestin, et donc déloyal.
Les exemples jurisprudentiels allant dans ce sens sont nombreux. Par exemple, un enregistrement vidéo n’a pas été retenu comme un moyen de preuve du comportement fautif d’un salarié car le dispositif n’avait pas fait l’objet, avant sa mise en œuvre, d’une information et d’une consultation du comité d’entreprise (Cass. soc. 7 juin 2006 n°1459). Plus récemment, la Cour a à nouveau rappelé qu’est sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié pour vol si cette infraction a été découverte à l’aide d’un système de vidéosurveillance dont le salarié n’avait pas connaissance (Cass. soc. 20 septembre 2018, n°16-26.486).
Il convient toutefois de préciser que la simple surveillance d’un salarié par son employeur, un supérieur hiérarchique ou par un service interne à l’entreprise sans information préalable du salarié n’est pas en soi un mode de preuve illicite.
Mais qu’en est-il d’un audit confié à une société externe à l’entreprise ? Les juges n’imposent pas ici non plus d’information préalable du salarié mais subordonnent la licéité de ce mode de preuve au fait que le salarié n’ait pas été tenu à l’écart des travaux réalisés par l’entreprise extérieure :
“Un audit des fonctions d’un salarié ne constitue pas un élément de preuve obtenu par un moyen illicite, même si le salarié concerné n’a pas été préalablement informé de la mission d’audit de ses fonctions, confiée par l’employeur à une société extérieure, dès lors qu’il n’a pas été tenu à l’écart des travaux réalisés par ce prestataire dans les locaux de l’entreprise”. (Cass. soc. 26 janvier 2016 n°14-19.002).
Pour en revenir à notre affaire d’enquête secrète relative à des faits de harcèlement moral, il semblerait que les juges de la Cour d’appel de Paris aient fait application de la jurisprudence antérieure et se soient alignés aux positions habituellement retenues.
Toutefois, la Cour de cassation a invalidé le raisonnement des juges du fond et a statué qu’une “enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié”
Cependant, la Haute juridiction ne fournit aucune explication afin de justifier son raisonnement.
Il se pourrait que la position des magistrats de la Cour de cassation ne soit pas étrangère à l'arrêt rendu par la Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme le 17 octobre 2019 (n°1874/13, Lopez Ribauda et autres c. Espagne). La question soumise à l’instance européenne était la suivante : une vidéosurveillance dissimulée sur les lieux de travail est-elle compatible avec le droit au respect à la vie privée dont jouissent les salariés ?
D’après la Cour, le caractère dissimulé du dispositif n’est pas en lui-même une violation au respect à la vie privée des salariés. Une telle violation découlerait en réalité des circonstances entourant la surveillance : existence d’une information préalable des salariés, degré d’intrusion dans leur vie privée, gravité des motifs justifiant la surveillance, existence de procédés alternatifs, utilisation faite par l’employeur des résultats de la surveillance, ou encore existence de garanties procédurales adéquates pour le salarié.
Par cette décision les juges européens semblent restreindre la portée de l’exigence d’information préalable du salarié.
D’un point de vue de droit interne, les juges de la Cour de cassation ont récemment admis la validité d’un licenciement pour faute fondé sur une capture d’écran du compte facebook de la salariée licenciée. Si les magistrats ont reconnu l’atteinte à la vie privée, ils ont toutefois estimé que la production de cet élément était proportionnée aux faits de l’espèce (Cass. Soc. 30 septembre 2020 n°19-12.058).
Il semblerait donc que les juges français, suivant le modèle des juges européens, se dirigent vers une analyse de plus en plus factuelle afin de déterminer si la preuve d’un fait fautif est loyale ou non.
En ce qui concerne l’affaire commentée, difficile de prévoir quelle position va adopter la Cour d’appel de renvoi tant l'arrêt rendu par la Cour de cassation est dépourvu d’indication sur la méthode de jugement à suivre.
La suite se jouera donc prochainement devant la Cour d’appel de Paris.