Stocker quelques photos de jeunes personnes nues sur un ordinateur professionnel n’est pas forcément un abus

Article Rédigé par anne-lise Castell
Publié le 10 juin 2024

Utiliser son ordinateur professionnel à des fins personnelles c’est généralement toléré sous réserves de ne pas dépasser certaines limites. Se rendre sur des sites pornographiques et stocker des photos; cela peut constituer un abus justifiant une faute grave. Mais tout va dépendre des faits comme l'illustre une affaire récente.

Utiliser des outils professionnels à des fins personnelles, c’est généralement toléré

Interdire complètement à un salarié doté d’un ordinateur professionnel toute connexion à des fins personnelles, c'est une utopie en 2024. D’ailleurs, la CNIL comme les juges incitent l’employeur à faire preuve de tolérance.

La CNIL considère ainsi qu’une utilisation personnelle des outils informatiques est tolérée si elle reste raisonnable et n’affecte pas la sécurité des réseaux ou la productivité. Par contre, si un salarié y passe une grande partie de son temps, ou se connecte à des sites illicites, un abus peut donc être constitué. 

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Quelques exemples d’abus

La Cour de cassation a par exemple déjà reconnu un abus justifiant une faute grave :

  • pour un salarié qui avait usé de la connexion Internet de l'entreprise, à des fins non professionnelles, pour une durée totale d'environ 41 heures durant le mois (Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07- 44.247) ;
  • pour un salarié qui consulte des sites d'activité sexuelle et de rencontres à des heures où il est seul et  chargé de la permanence téléphonique (Cass. soc., 21 septembre 2011, n° 10-14.869) ;
  • pour un salarié qui s'était connecté 800 fois en un mois, dont 200 fois en 7 jours à des sites à caractère pornographique depuis un ordinateur mis à sa disposition par son employeur (Cass. soc., 3 octobre 2018, n° 17-13.089).
Important : L’employeur ne peut sanctionner un salarié que s’il parvient à apporter des éléments permettant de s'assurer que le salarié est réellement l'auteur du comportement répréhensible. Ce qui n’est pas le cas s’il est possible à n'importe lequel des salariés d'avoir accès au poste informatique du salarié (Cass. soc., 3 octobre 2018, n° 16-23.968)

Récemment, la Cour de cassation a en revanche écarté une utilisation abusive de l'ordinateur professionnel et de connexions internet à des fins personnelles concernant un salarié qui stockait quelques photos. Dans cette affaire qui concernait La poste, il y avait une charte informatique qui précisait que l'utilisation des sites internet à des fins privées devait être limitée en volume, en durée et que l'accès à des sites non autorisés par les lois et règlements ou contraires à l'ordre public constituait une faute professionnelle. D’autre part, le règlement intérieur prévoyait que les salariés ne devaient pas utiliser le matériel qui leur était confié à d'autres fins que professionnelles.

S'appuyant là-dessus, l’employeur décide de licencier pour faute grave un salarié qui a téléchargé et conservé sur son ordinateur des images d'enfants et d'adolescents nus et aurait consulté des sites pornographiques.

Des fichiers ont été retrouvés sur l’ordinateur d’un salarié : six clichés de jeunes garçons ou jeunes hommes nus ou en short, sans photographies d'actes sexuels

Pourtant la faute grave n’a pas été reconnue par les juges. Pour écarter l'existence d'une faute grave la cour d'appel a retenu :

  • que le nombre de clichés d'enfants nus présents sur le disque dur de l'ordinateur du salarié était réduit et que leur téléchargement datait de plus d'un an ;
  • que le salarié avait des troubles en rapport avec la stérilité et la sexualité attestés par certificat médical ;
  • qu'il n'y avait pas de photographies d'actes sexuels ;
  • que s'agissant de la consultation de sites à caractère pornographique, les pièces produites par l'employeur ne permettaient pas d'établir la date des consultations ainsi que leur fréquence ;
  • qu’il fallait aussi tenir compte de l’évaluation de la qualité de servir du salarié, de son ancienneté et de l'absence d'antécédent disciplinaire.

Au vu de tous ces éléments, l'utilisation abusive de l'ordinateur professionnel et de connexions internet à des fins personnelles, invoquée dans la lettre de licenciement, n'était donc pas établie. La Cour de cassation donne raison à la cour d’appel qui a pu déduire de tous ces éléments que la sanction était disproportionnée et que les faits ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

A noter : Cette décision est aussi intéressante car elle montre que même en posant des limites via une charte et le règlement intérieur une interdiction ne peut pas être totale…
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Focus rôle CSE

Vous devez être consulté sur le règlement intérieur de l’entreprise mais aussi si votre employeur

décide d’établir une charte informatique annexée à ce règlement intérieur. Le comité est aussi informé et consulté, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés (C. trav., art. L.2312-38). A partir de 50 salariés.

Vous pouvez également sensibiliser les salariés sur le fait d’identifier clairement le contenu personnel figurant sur leur ordinateur via un répertoire comportant cette mention personne ou privé. Sinon l’employeur peut tout ouvrir même sans la présence du salarié.

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Références
  • Cour de cassation, chambre sociale, 29 mai 2024, pourvoi n° 22-19.832
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